Dossiers mardi 1 juin 2021
Cabinet d’avocats et télétravail : un virage en mode accéléré
Par Emmanuelle Gril
Lorsque le gouvernement a mis le Québec sur pause, la plupart des cabinets d’avocats étaient déjà prêts à mettre en place le travail à distance. La pandémie a surtout accéléré son implantation.
Le télétravail : la norme plutôt que l’exception
« Ce qu’on pensait impossible auparavant est devenu faisable. Nous n’avons pas eu le choix et du jour au lendemain, nos 550 employés sont passés en mode télétravail », se remémore Pierre Nadeau, CRHA, directeur principal, ressources humaines et talents, chez Norton Rose Fullbright.
Équipement informatique adapté, ajustement de la bande passante, modules de formation, généralisation de la numérisation… Au sein de ce cabinet comme de plusieurs autres, rien n’a été laissé au hasard pour que cette transition forcée puisse malgré tout s’effectuer en douceur.
« Nous étions déjà en phase de transformation pour intégrer la numérisation dans nos façons de faire. Mais notre plan initialement étalé sur trois ans a été réalisé en accéléré, en quelques semaines à peine », précise pour sa part Me André Dufour, associé directeur régional, Montréal, chez BLG. La pandémie a donc constitué un coup d’accélérateur et même un catalyseur pour mettre en œuvre de nouvelles pratiques et faire du télétravail la norme plutôt que l’exception.
Une implantation en deux temps trois mouvements
Signe que les technologies étaient déjà en place, dès le 16 mars 2020, trois jours à peine après que le confinement eut été décrété, tous les membres des équipes de Fasken étaient opérationnels à partir de leur domicile. « En février, nous faisions des simulations et le 8 mars, la préparation technologique avait été finalisée », indique Me Éric Bédard, associé directeur, région du Québec. Autant dire que le cabinet n’a pas été pris de court par les événements!
Pour de plus petites structures, comme le cabinet de Man Pillet, la pandémie n’a pas exigé de changements radicaux. « Nous faisions déjà du télétravail régulièrement depuis plusieurs années. Nous disposions des équipements informatiques et de la structure technologique nécessaires. Le passage s’est fait sans difficulté », explique Me Isabelle Pillet. Avant la pandémie, l’avocate appréciait de pouvoir travailler de chez elle après les heures de bureau, ou lorsque l’un de ses enfants était malade. Aujourd’hui, le travail à distance est devenu la règle et le retour dans les locaux à plein temps n’est pas prévu à court terme.
Les aspects positifs du télétravail
Dans les grands cabinets, même si la fréquentation des locaux devait augmenter, il n’est pour le moment pas question de ramener tous les employés. D’ailleurs, des sondages menés par les grands bureaux ont fait état de la satisfaction par rapport au télétravail. Meilleure conciliation travail-famille, pas de temps perdu dans le transport, maximisation du temps, meilleure alimentation, sont autant de constats qui ressortent des enquêtes réalisées.
En termes d’efficacité, les résultats sont au rendez-vous, celle-ci a même été accrue. « Il n’y a eu aucune incidence sur la productivité, elle est même meilleure qu’avant », constate Me Jean-François Gagnon, avocat et chef de la direction chez Langlois.
Un défi de taille : préserver l’esprit d’équipe
« Il y a des avantages, mais aussi des défis, par exemple la difficulté à faire la coupure entre la vie personnelle et le travail, ainsi que le manque de contacts sociaux, les enjeux en termes d’ergonomie, etc. Nous avons déployé un plan d’action pour chacun d’eux », précise Me Éric Bédard.
Chez Fasken, la communication interne a aussi été mise de l’avant, en multipliant les interactions régulières et transparentes, afin de permettre à tous de s’exprimer, mais aussi pour rester à l’écoute des besoins. Pour recréer les fameuses « discussions de corridor » qui ne pouvaient plus avoir lieu, chaque leader de groupe a également été encouragé à entrer régulièrement en contact avec les membres de son équipe.
« Nous avons eu beaucoup de communication avec nos gens. Nous leur avons parlé fréquemment, et proposé des capsules d’information et des ressources externes pour les soutenir dans la transition et les aider à se familiariser avec les technologies. Il y a aussi eu un déclic quand nos leaders ont partagé leur propre réalité, par exemple quand un associé directeur national, lors d’une rencontre avec l’application Zoom, précisait que son chien allait peut-être aboyer ou que ses enfants étaient à la maison. Cela a contribué à dédramatiser et humaniser le processus », mentionne Pierre Nadeau.
« À l’avenir, le défi des gestionnaires de bureaux d’avocats sera sans nul doute de préserver l’esprit d’équipe. Quand on travaille de chez soi, être à l’emploi du cabinet A ou B ne fait pas beaucoup de différence. On devra s’efforcer de conserver l’adhésion, de faire cohabiter télétravail et culture d’entreprise », estime Me Gagnon, qui indique que chez Langlois, on a d’ailleurs créé à cette fin une communauté virtuelle qui se veut rassembleuse et mobilisatrice.
Élément à ne pas négliger : la sécurité
Autre bémol soulevé par Me Isabelle Pillet : ce virage technologique fait en sorte que les cabinets doivent investir davantage en sécurité informatique pour se prémunir du piratage et des cyberattaques. « Je pense notamment aux demandes de rançons en bitcoins, à défaut de quoi toutes les activités du cabinet sont paralysées », illustre-t-elle.
De nouvelles habitudes : quand le temporaire devient permanent
Tous les intervenants interrogés soulignent que la pandémie a permis de mettre en place de nouvelles méthodes de travail, notamment après avoir réalisé qu’il était possible de travailler sans document imprimé. Le bureau sans papier a donc pris du galon en un temps record. « Nous sentons une plus grande adhésion à ce virage, nous sommes plus agiles et efficaces. Nous allons conserver les meilleures pratiques », confirme Me Gagnon.
Les façons de travailler ont aussi rapidement évolué chez BLG, où l’on a même retiré la plupart des imprimantes des bureaux, puisque l’environnement sans papier est désormais bien implanté. « Les habitudes prises auront assurément un impact à plus long terme. Nos clients n’ont plus besoin de venir au centre-ville, ils ont réalisé que la visioconférence est tout aussi efficace », affirme Me André Dufour.
Le bureau sera toujours là
Le rapport au lieu de travail sera aussi profondément modifié, puisqu’il semble que l’on se dirige vers une formule hybride entre le travail à distance et en présentiel. Toutefois, il n’est pas question d’abandonner cet environnement qui demeure un point d’ancrage pour les équipes.
« Je crois que le bureau est là pour rester. Il est bien difficile de s’en passer pour tout ce qui touche à la formation de la relève, au compagnonnage, aux réunions dans le domaine du litige, par exemple », note Me Bédard.
Me Isabelle Pillet estime également que les bureaux ne sont pas voués à disparaître. « En particulier en litige, alors que les '' originaux '' des procédures papiers doivent encore être ramassés et signifiés par huissiers, puis déposés à la Cour », note-t-elle. Pas de doute, même s’il a perdu sa prédominance, le bureau n’est pas mort!