Aller au contenu

Dossiers mardi 22 février 2022

« Il reste de grands défis en matière d’équité »

Me Suzanne Taffot, avocate et cantatrice

Par Marie-Hélène Paradis

Partagez

Me Suzanne Taffot
Crédit photo : Kevin Calixte

Elle est née en Espagne et a vécu au Cameroun, en France et au Québec. Elle aurait pu pratiquer en droit des affaires, mais elle s’est spécialisée en droit de l’immigration. Avocate et soprano, Suzanne Taffot mène deux carrières en parallèle. Voici l’histoire de son parcours unique.

Après des études en droit au Cameroun et en France, MSuzanne Taffot amorce sa carrière dans l’Hexagone avant d’immigrer avec son mari au Canada, où les possibilités de s’épanouir professionnellement lui semblent prometteuses. « Je croyais fondamentalement qu’à compétences égales, les chances seraient égales et je voulais être reconnue pour mes capacités et mes compétences », dit-elle. Le Canada a répondu à ses attentes.

Elle fait l’École du Barreau en 2012 et commence à pratiquer au Québec l’année suivante. Elle fonde en 2020 le cabinet Heritt avocats, formé d’associées issues de la diversité, où elle exerce en droit de l’immigration et des réfugiés, droit des personnes, droit de la famille et droit civil.

Son premier choix aurait pourtant été de pratiquer le droit des affaires, puisqu’elle détient un Master 2 en droit approfondi de l’entreprise, un autre en droit des affaires comparé, ainsi qu’une maîtrise en droit des affaires. Mais, lorsqu’elle était à la recherche d’un stage dans ce domaine, on exigeait une expérience dans le domaine et l’accompagnement par un mentor, deux conditions qu’elle ne pouvait fournir. Marchant rue Sherbrooke avec son curriculum vitae en main, elle a finalement frappé à la bonne porte et on l’a embauchée… pour lui confier des dossiers en droit de l’immigration.

Nombreux sont les avocats issus de l’immigration qui exercent dans ce domaine. « Si au départ, j’ai été réticente à cette association quasi automatique, le fait est qu’un concours de circonstances m’y a amenée et que je suis tombée en amour avec ce domaine de droit que j’ai embrassé, qui est la porte d’entrée de tous les autres droits pour les nouveaux arrivants. C’est, pour moi, le droit par excellence. Il rejoint mes valeurs. Je veux montrer un autre visage, à mes collègues et à mes clients, et éduquer les immigrants quant à leurs droits, qui sont trop souvent bafoués », raconte-t-elle.

Qu’est-ce qui explique, de son point de vue, ce phénomène des nombreux avocats immigrés en droit de l’immigration? Une suite de circonstances, énumère-t-elle. Il y a d’abord le passage par l’éducation permanente avant l’École du Barreau pour mettre à niveau des connaissances acquises ailleurs : cette étape inscrit une première distinction avec les aspirants qui arrivent d’une faculté de droit. Et puis, il y a aussi le fait que les portes des stages s’ouvrent moins souvent devant celles et ceux qui ne sont pas passés par une faculté de droit québécoise. S’ensuit un emploi plus difficile à trouver, vu l’absence d’expérience professionnelle sur le territoire. L’ensemble de ces obstacles amènent les avocats immigrants à créer leur propre cabinet et à offrir leurs services à une clientèle de nouveaux arrivants qui voient en eux des personnes qui ont vécu le même parcours« Avoir la même couleur de peau, c’est aussi partager les mêmes cultures et avoir le sentiment d’être mieux écouté et mieux compris », dit MTaffot.

Son plus grand défi? « Prouver, chaque jour, que je suis une bonne avocate, comme s’il y avait une présomption en vertu de laquelle une avocate noire va commettre des erreurs. Continuellement, je dois faire attention à la façon dont je m’exprime et comment je présente mes dossiers. Parfois, c’est lourd », confie-t-elle.

Mais le beau côté des choses, c’est que depuis dix ans, elle a vu de grands progrès en matière de diversité dans la profession« Chez Heritt avocats, nous avons reçu la bourse de démarrage de cabinet du Jeune Barreau de Montréal, un signe fort qui reconnaît la priorité accordée à la représentativité de la diversité dans la profession », dit MTaffot. Parmi les autres signes d’avancement, elle cite la récente nomination à la Cour fédérale de deux juges immigrants, les programmes d’accompagnement d’avocats issus de la diversité, et les bourses de plus en plus nombreuses.

Le grand défi de l’équité

Parmi les défis qu’il reste à relever au chapitre de la représentativité, l’équité est l’un des plus grands, croit Suzanne Taffot, et ce, autant en matière d’accès à la profession qu’au niveau des études universitaires. « Le principe peut sembler théorique, explique-t-elle. Prenons le contingentement des études en droit, avec lequel je suis d’accord, je le précise, mais l’équité devrait toutefois faire en sorte que l’on tienne compte du contexte et du parcours de chaque étudiant. Car celui qui vient de l’arrondissement St-Michel, par exemple, n’a pas le même contexte familial, culturel et social que celui qui vient du Plateau Mont-Royal. On a tendance à croire que l’équité est un privilège. J’estime plutôt que tenir compte de l’équité, c’est essayer de réparer des injustices créées depuis des décennies et qui sont ancrées dans un système. Voilà la distinction à faire. »

Quand le droit côtoie l’opéra

Parallèlement à sa carrière d’avocate, Suzanne Taffot mène aussi une carrière internationale de chanteuse lyrique. Elle a récemment été soliste à la Maison symphonique de Montréal, avec l’Opéra de Québec, ainsi qu’à l’Opéra de Munich en Allemagne. Détenant de l’Université de Montréal une maîtrise en chant classique, option opéra, la cantatrice Suzanne Taffot a été lauréate de plusieurs concours lyriques.

« J’en suis fière. C’est mon équilibre et une autre facette de ma vie que je chéris tout autant », confie-t-elle.

Partagez