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Dossiers mardi 2 août 2022

Pour une société plus juste et une profession davantage représentative

Me Patricia Fourcand, Ad. E.

Par Marie-Hélène Paradis

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Me Patricia Fourcand, Ad. E.

Me Patricia Fourcand, Ad. E., appartient à la sixième génération d’une famille de juristes mais elle a été la première femme de la lignée à accéder à la profession d’avocat.

Patricia Fourcand a su dès son plus jeune âge qu’elle voulait devenir avocate. Vers neuf ans, elle a partagé son rêve avec son père. « Mon père avait été avocat en Haïti, mais à son arrivée au Québec, il n’a pas pu pratiquer car à l’époque, il n’y avait pas de reconnaissance des équivalences. Ayant une famille de six enfants à nourrir, il est devenu traducteur de textes juridiques. Il m’a répondu que ce n’était pas réaliste en tant que femme, immigrante et noire de devenir avocate, que ce serait très difficile pour moi de faire carrière et que je devais envisager plutôt une carrière en médecine ou en ingénierie. On était alors au début des années 80 »nous confie-t-elleDe son propre aveu, elle est têtue et quand on lui dit qu’elle ne peut pas faire quelque chose, ça renforce chez elle la volonté de prouver le contraire.

Une carrière bien remplie

Exerçant le droit en matière familiale, MFourcand détient une expertise dans les litiges familiaux avec une composante en droit international. Les dossiers dont elle s’occupe sont souvent complexes : enlèvements d’enfants, parents souhaitant quitter le pays, la province ou la ville avec les enfants du couple, détermination du régime matrimonial et partage d’actifs alors que plusieurs juridictions sont impliquées. Les causes qu’elle a défendues ont fait évoluer le droit québécois vers une plus grande égalité entre les rôles des deux parents.

Femme engagée, Patricia Fourcand a été, pendant plusieurs années, membre du comité de liaison avec la Cour supérieure en matière familiale. Elle est actuellement Fellow de la prestigieuse International Academy of Family Lawyers. Elle est également impliquée dans des projets visant à reconnaître la place des avocates dans la profession. Le projet Justicia du Barreau, auquel elle a participé pendant deux ans, avait pour but d’améliorer les conditions de travail des femmes avocates en pratique privée et trouver des solutions pour les problèmes de rétention et d’avancement. « Ce fut une excellente initiative du Barreau. Ce groupe a réussi à faire avancer les choses, à faire en sorte que des cabinets améliorent leurs pratiques en ressources humaines et prennent conscience des problématiques », dit-elle. Elle siège maintenant au sein du comité Panorama pour la diversité ethnoculturelle et l’inclusion, visant à sensibiliser les cabinets et contentieux d’avocats aux problèmes réels que vivent les représentants des minorités (ethnoculturelles, sexuelles, de genre, etc.), et y trouver des solutions.

Elle est aussi membre fondatrice du chapitre québécois de l’Association canadienne des avocats noirs. « Cette association avait des antennes au Canada, mais pas au Québec. On trouvait qu’il était temps de mettre sur pied un chapitre québécois pour que celui-ci devienne le porte-parole de la communauté sur plusieurs enjeux. Il y a encore de grandes difficultés rencontrées et vécues par les membres de notre communauté, et nous voulons encourager les jeunes à envisager des carrières exigeantes, incluant le droit, dès l’école primaire et l’école secondaire. Ils doivent avoir confiance en leurs capacités, nous nous devons de les accompagner », affirme MFourcand.

Pour une société plus juste

« Pendant toute mon enfance, nous habitions dans une ville à l’extérieur de Montréal où il n’y avait pas beaucoup de diversité. Nous étions, mes frères et sœurs, les seuls Noirs à l’école. J’ai appris à vivre avec la différence dès mon plus jeune âge. Mon père me disait toujours qu’il fallait travailler deux fois plus pour faire sa place lorsqu’on est Noir. Je ne me suis jamais laissée décourager par cela; c’était plutôt une motivation additionnelle pour exceller. Lorsque j’ai débuté ma carrière en cabinet, il n’y avait pas un seul individu racisé au bureau. Ce fut pour moi une opportunité d’ouvrir des portes et de démontrer qu’on pouvait s’intégrer et faire une carrière. Les clients acceptaient très bien d’être représentés par quelqu’un qui n’était pas né au Québec, du moment que le travail était bien fait et que l’on démontrait qu’on pouvait gagner leur confiance. Quand j’ai quitté le bureau après plusieurs années, il y avait des personnes de tous les horizons. À plusieurs égards, le Québec a fait beaucoup de chemin en très peu de temps », constate MFourcand.

Elle confirme toutefois qu’il y a encore du chemin à faire et que la discrimination fait toujours partie de la réalité « sur le terrain » en ce qui concerne les personnes issues des différentes communautés.  « Par rapport à la représentation dans les différentes sphères de la vie, 10 % de la population à Montréal est noire alors que même pas 1 % des juges le sont. Il n’y a pas non plus un nombre représentatif de dirigeants d’entreprises Noirs, et plus encore. Le système n’est donc pas encore équitable », déplore-t-elle.

Elle a récemment signé une lettre d’opinion, avec d’autres juristes, dénonçant le fait que le racisme systémique existe bel et bien. « Il est important que ce constat soit reconnu, car ça permet de faire un diagnostic, d’apporter des solutions, de faire en sorte que les gens qui n’ont pas réussi à leur pleine capacité à cause de ce système puissent réaliser que ce n’est pas à cause de leur incompétence, mais bien parce que le système rend leur réussite difficile. Le message doit être entendu de tous. Tout commence très jeune, dès l’école. On présume qu’on n’a pas les mêmes capacités, on ne nous encourage pas à faire des études et une carrière dans des domaines exigeants. »

Qu’est-ce qui la rend fière? Elle répond sans hésiter. « Je suis particulièrement fière d’utiliser ma fonction pour tenter de changer notre profession. Ce serait honteux si je n’utilisais pas ma voix et mes contacts pour aider les autres à avoir une carrière et une place dans la société qui soit à la hauteur de leurs capacités. Ma nomination comme Avocate émérite est importante pour moi, car cette réussite est la preuve que le Québec a évolué et veut continuer d’évoluer. Ça démontre que le Barreau apprécie ma contribution à cet égard et qu’il encourage d’autres avocats à travailler pour un Barreau et une société plus juste et plus équitable. On veut un Québec où chacun bénéficie des mêmes chances et opportunités pour développer son plein potentiel »conclut MFourcand.

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