Articles mardi 15 novembre 2022
Entretien avec la bâtonnière et la directrice générale
Le Plan stratégique 2022-2026 du Barreau : ambitieux et nécessaire
Par Marie-Hélène Paradis
Pour l’administration du Barreau du Québec, le Plan stratégique 2022-2026 est motivé par la volonté de faire les choses différemment. La bâtonnière du Québec, Me Catherine Claveau, et la directrice générale, Me Catherine Ouimet, ont voulu « repartir à zéro » pour mieux harmoniser les priorités du Barreau et l’évolution des besoins de la société québécoise.
Une méthodologie à toute épreuve
Une vaste opération de consultation a d’abord eu lieu. Ainsi, une centaine de rencontres particulières, à l’extérieur du Barreau et à l’interne, un sondage aux membres avec un taux de participation de 21 %, ainsi qu’une méthodologie rigoureuse ont mené à des constats factuels solides et fiables sur lesquels se baser.
« Les constats que nous avons dû faire ont été pour certains difficiles, mais justes. L’équipe de direction et le Conseil d’administration ont néanmoins souscrit à l’analyse qui nous a été livrée. Nous avons par la suite participé à un exercice conjoint de réflexion afin que les décisions sur les enjeux et les actions à prioriser reflètent ce que le Barreau doit faire pour se positionner de manière plus avantageuse », explique la bâtonnière, Me Catherine Claveau.
Se recentrer sur la mission de protection du public
Aller droit au but, insuffler une cohérence en lien avec la volonté de se recentrer sur la protection du public et inclure l’enjeu incontournable que représente la bonification de l’accès à la justice sont les éléments essentiels de la mission et de la vision du Barreau pour favoriser ce changement de culture et être en phase avec les besoins des citoyens.
Les valeurs ont, elles aussi, été ajustées en fonction de ces priorités et de cette volonté de faire les choses autrement. « Il faut avoir le courage de mettre de côté nos vieux réflexes et se doter de la détermination nécessaire pour faire face au changement. Par-dessus tout, il faut garder le cap malgré les critiques et la résistance si on souhaite influencer l’évolution de la profession d’avocat », souligne la directrice générale, Me Catherine Ouimet.
Le Barreau veut maintenir les standards d’excellence et faire de l’exercice du droit une profession engagée dans les enjeux sociétaux tout en développant son agilité face aux nouvelles situations et aux nouveaux besoins.
Les orientations du Plan d’action
Orientation 1 | Axer les actions du Barreau autour de la mission principale de la protection du public
Le constat généralisé qui est ressorti des exercices de consultation, c’est qu’il existe depuis longtemps une confusion entre le rôle de protection du public et celui de la défense des intérêts socio-économiques des avocats. « Cela indique que pour aller plus loin et même pour empêcher une certaine paralysie des actions du Barreau, il faut changer la culture et la perspective », indique Me Ouimet.
Cinq objectifs sont liés à des actions à venir du Barreau pour que sa mission principale soit recentrée sur la protection du public. Pour y arriver, il faut tout d’abord promouvoir les actions tangibles du Barreau en matière de protection du public en faisant mieux connaître ses programmes et ses outils en lien avec le contrôle de la profession. « Nous allons également devoir délaisser certaines activités et certains programmes pour nous concentrer sur notre mission première de protection du public. Il faut ajouter que plusieurs programmes ont été conçus à travers le temps pour soutenir davantage les intérêts économiques des avocats ». La bâtonnière donne en exemple les négociations pour le tarif des honoraires des avocats de la pratique privée à qui un mandat d’aide juridique est confié. Même si ces négociations servent les intérêts du public, parce qu’elles contribuent à un meilleur accès aux services des avocats lorsque ceux-ci acceptent plus de clients, le levier de négociation dans ce dossier est surtout lié à leurs intérêts socio-économiques. « Il est important qu’un groupe ou une association ayant la mission de représenter les intérêts de ces avocats reprenne ce dossier pour permettre au Barreau de se concentrer sur son rôle premier de protection du public », ajoute-t-elle.
Un autre aspect important de cette orientation est de faire en sorte que tous les organes et partenaires du Barreau soient alignés avec ces objectifs pour avoir une plus grande force de frappe. « Le Barreau du Québec étant le porteur central de la mission de protection du public, il est important d’établir et de maintenir un dialogue avec les barreaux de section, nos divisions, pour nous assurer que nous travaillons tous dans le même sens », ajoute Catherine Ouimet. « Les associations d’avocats sont également des parties importantes de l’écosystème et nous voulons nous assurer qu’elles développent leurs missions et services respectifs à la défense des intérêts des membres en vue d’augmenter leur contribution. Cela permettra au Barreau de jouer pleinement son rôle d’ordre professionnel. »
Orientation 2 | Proposer et mettre en œuvre des solutions concrètes et applicables pour améliorer l’accès à la justice
Le Barreau de même que la profession d’avocat sont souvent perçus comme un frein à un système de justice plus performant. Au cours des prochaines années, le Barreau entend orienter plusieurs de ses initiatives pour améliorer l’accès à la justice en utilisant notamment les mécanismes de contrôle de la profession. Il est important de changer cette perception si l’on souhaite que les citoyens fassent à nouveau confiance à la profession d’avocat. À ce sujet, la bâtonnière Claveau mentionne que « plusieurs projets sont en chantier pour permettre un meilleur accès à la justice. On sait qu’il y a un lien entre les coûts de la justice et la décision du citoyen de ne pas recourir aux services d’un avocat. On sait également que les parties non représentées ajoutent une complexité additionnelle pour notre système de justice, ce qui occasionne des délais et oblige les acteurs du milieu de la justice à jouer des rôles différents. De ce constat émerge l’idée de revendiquer une mesure d’allègement fiscal, d’améliorer l’offre de l’assurance frais-juridiques ou encore de revoir les modes de tarification des honoraires pour permettre à plus de gens d’être représentés par avocat. »
Les coûts de la justice sont au cœur de la problématique de l’accès à la justice, mais ils ont rarement été au cœur des réflexions. Par exemple : certains changements aux règles de droit substantif ou à la procédure ont occasionné une majoration des coûts pour le citoyen dans les dernières années. Le Barreau veut analyser ce phénomène et mettre en œuvre des solutions pour réduire ces coûts.
Un meilleur accès à la justice passe également par une collaboration interdisciplinaire accrue. « Il faut permettre à certains groupes de personnes détenant des connaissances suffisantes de poser, de façon encadrée, certains actes juridiques. On pense aux étudiants en droit qui peuvent maintenant donner des conseils dans les cliniques juridiques universitaires tout en étant supervisés par un avocat, à la pratique du droit au sein d’une personne morale sans but lucratif (PMSBL) qui sera permise sous peu, ou aux parajuristes qui peuvent également jouer un rôle accru dans notre système de justice », ajoute Me Claveau. Ces modèles sont déjà présents partout ailleurs au Canada.
Les 1 500 étudiants de l’École du Barreau feront aussi partie du processus d’accès à la justice en participant au nouveau programme académique qui les mettra en lien direct avec une clientèle qui a besoin de conseils juridiques. Les étudiants possèdent des connaissances en droit, mais ils ont besoin d’apprendre à les appliquer. La Clinique juridique du Barreau, basée sur un nouveau programme d’apprentissage expérientiel, a été mise sur pied pour répondre à ce besoin. Celle-ci fera désormais partie du cursus de l’École du Barreau et représente une véritable mesure d’accès à la justice.
Orientation 3 | Réimaginer la profession d’avocat et réformer le contrôle de son exercice
Le développement de la pratique du droit de demain est visé par cette orientation. L’Ordre se doit d’être à l’avant-garde de la profession pour établir des normes, un idéal de compétences, des directives et des guides à l’image de qualité de la profession. « Le visage de la profession doit être diversifié, interdisciplinaire, responsable, humaniste, adapté numériquement et axé sur les besoins des citoyens. Il s’agit selon nous de la seule option pour que la profession d’avocat monte dans l’échelle de la confiance des citoyens. Il faut que l’avocat soit tourné vers les besoins des citoyens : cette orientation est d’une grande importance pour le Barreau », ajoute Me Claveau.
Le succès de cette orientation passe avant tout par la réforme complète du programme de l’inspection professionnelle. C’est par ce chemin que le Barreau du Québec entend accompagner ses membres à travers cette transformation. La directrice générale explique ce changement : « On modifie complètement la façon de faire des inspections. Aujourd’hui, une inspection dure trois heures et après, il se peut que l’avocat n’entende plus parler du Barreau pendant plusieurs années. Les avocats ne bénéficient d’aucune formation spécifique ou d’aucun accompagnement pour mettre en œuvre les recommandations. Nous voulons que le programme de l’inspection soit davantage personnalisé, que ses recommandations fassent l’objet d’un suivi et que les avocats puissent, si nécessaire, bénéficier de formations ou d’accompagnement pour atteindre leurs objectifs d’amélioration. Nous souhaitons développer chez les avocats les valeurs et les compétences que l’on juge prioritaires pour répondre aux besoins des citoyens. »
Cette orientation est aussi en lien avec le resserrement des mécanismes de contrôle. Tant le Bureau du syndic et l’inspection professionnelle que le Service des greffes et le Conseil de discipline doivent s’aligner sur le même message pour que les avocats comprennent clairement quelles sont les bonnes et les mauvaises pratiques.
Le Barreau veut endosser une vision de développement continu pour les avocats afin de les aider à développer ou affiner certaines habiletés jugées essentielles pour les avocats d’aujourd’hui : les habiletés technologiques, la sensibilité à la diversité ou la compréhension de la réalité des personnes victimes de violences sexuelles ou conjugales, la responsabilité sociale. Le profil de l’avocat type fait l’objet d’une révision pour que la profession réponde mieux aux besoins des citoyens.
Orientation 4 | Créer une organisation performante favorisant l’engagement à long terme
Me Ouimet insiste pour souligner que le Barreau, en tant qu’organisation, doit pouvoir permettre le développement, l’innovation et l’audace de ses employés. « À mon arrivée en poste, nous avons commandé un important sondage organisationnel qui a mené à un plan d’action pour améliorer toutes nos pratiques de gestion et permettre une plus grande agilité. À cela s’ajoute la transformation technologique de l’Ordre, que nous avons entamée. Il y a donc un changement de culture significatif qui est amorcé aussi au sein de l’organisation. On veut instaurer plus d’écoute et plus d’implication des employés dans les processus de recherche de solutions pour nous permettre d’être véritablement en mode amélioration. Le but est d’attirer, de développer et de retenir les meilleurs talents pour mieux performer. »
Le contrôle de la profession fera à son tour l’objet d’une transformation numérique pour faire en sorte que les avocats puissent être plus efficaces dans leur travail. Un Comité des technologies de l’information (TI) sera mis sur pied pour recommander des actions au Conseil d’administration et l’aider à gérer les risques TI de l’organisation et de la profession. Le Barreau doit développer cette expertise pour être en mesure d’aider les avocats à le faire à leur tour.
« Il reste encore des silos au Barreau, comme dans plusieurs organisations, et je veux les réduire le plus possible. C’est pour cette raison que nous redoublerons d’efforts afin que tous puissent échanger et partager leurs informations et soient en phase avec des orientations communes face à la profession. » indique Me Ouimet.
« Comme vous le constatez, c’est un plan ambitieux qui amène des changements importants. Le but ultime d’un plan stratégique comme celui-ci est d’amener une évolution de la perception que les gens ont de la profession et pour y arriver, il faut changer les façons de faire », conclut la bâtonnière Claveau.