Articles mercredi 27 avril 2022
Oser pratiquer autrement avec le protocole préjudiciaire
Par Marie-Hélène Paradis
Entrée en vigueur le 1er janvier 2016, la loi instituant le nouveau Code de procédure civile met l’accent sur les modes de prévention et de règlement des conflits comme la médiation, l’arbitrage ou la conciliation. Dans l’approche de règlement des dossiers de litige, il s’agit d’un virage majeur pour les avocats et d’un changement de culture pour l’ensemble du monde judiciaire.
Cette nouvelle culture judiciaire dans laquelle les avocats sont appelés à jouer un rôle important demeure par trop méconnue de façon générale, tant du côté des justiciables que de celui des intervenants judiciaires. Mais elle est cependant bien présente, depuis 2004, dans le domaine de la responsabilité médicale, où l'on a couramment recours au protocole préjudiciaire.
Comment fonctionne le protocole préjudiciaire
« L’objectif premier du protocole préjudiciaire, explique Me Emmanuelle Poupart, exerçant au cabinet McCarthy Tétrault, est d’avoir un échange d’informations, dans un processus confidentiel, qui permet de faire un tri dans les dossiers et de déterminer si un dossier doit être judiciarisé ou si on peut en arriver à une entente hors cour. »
L’approche va à l’encontre de l’idée que l’on se fait des démarches judiciaires habituelles où chaque partie veut conserver pour soi des arguments afin de préparer sa stratégie. « Quand on décide de conclure un protocole préjudiciaire ou d’emprunter toute autre voie alternative de résolution de conflit, les parties doivent s’engager à participer de bonne foi, et elles savent que l’objectif n’est pas de se faire des munitions », explique Me Poupart.
Le processus permet de prévoir que certains documents ne pourront pas être utilisés alors que d’autres éléments de preuve pourront l’être, pour éviter la duplication advenant une judiciarisation. Par exemple, si des interrogatoires hors cour sont menés, on peut convenir que leur transcription pourra être utilisée afin que les parties n’aient pas à engager d’autres frais pour les refaire. Lorsque les deux parties savent qu’il y a des choses qui ne pourront pas être utilisées, il y a davantage de transparence, d’échanges constructifs et d’informations, ce qui favorise la résolution de conflits.
Puisque le législateur n’a pas prévu de contrainte dans le processus, les parties ont beaucoup de latitude pour faire preuve de créativité et créer un protocole qui leur convient. Il y a donc une marge de manœuvre intéressante pour satisfaire les parties impliquées.
L’expérience du domaine médical
Le domaine médical utilise depuis longtemps le protocole préjudiciaire. « C’est un outil méconnu qui mérite d’être adopté. Notre expérience avec le protocole est très positive. Nous n’avons jamais eu de situations où il s’est avéré que la participation à un protocole préjudiciaire n’était qu’une stratégie pour un éventuel recours », affirme Me Poupart. « Le processus qu’il faut suivre est encadré. Un document prévoit toutes les étapes qui doivent être respectées, et celui-ci peut être adapté selon les besoins. Avec l’expérience, il y a eu une évolution. On a, entre autres, ajouté des étapes et des échéances pour améliorer la célérité des échanges. Le but est d’avoir accès à un maximum d’informations dans les meilleurs délais pour nous permettre de catégoriser notre dossier, » poursuit-elle.
Les avantages
Le protocole préjudiciaire se déroule dans un contexte moins antagoniste que celui d’une procédure judiciaire, ce qui est un atout pour parvenir à une entente. Par ailleurs, la confidentialité représente un avantage important pour les deux parties, confirme l’avocate. Dans le secteur médical par exemple, le patient n’a pas à exposer les détails de son cas alors que le défendeur ne se retrouve pas dans une procédure publique où sa prétendue négligence est alléguée.
« L’échange constructif et transparent qui a lieu dans le contexte d’un protocole préjudiciaire permet aux parties de cibler les vrais enjeux qui les divisent et de se concentrer sur ceux-ci. La très grande majorité des dossiers s’y prêtent et dans chaque cas, les parties ont intérêt à échanger des renseignements. On ne perd jamais à dialoguer. Le protocole préjudiciaire permet aussi d’économiser des coûts. Si, dans le futur, les avocats ont davantage recours au protocole préjudiciaire, il y aura moins d’auditions ou celles-ci seront plus courtes et mieux ciblées, de sorte que les coûts engendrés seront moindres et que cela contribuera au désengorgement des tribunaux. Autre avantage et non le moindre pour les justiciables : un règlement de différend par protocole préjudiciaire permet d’envisager, le cas échéant, une indemnisation plus rapide. Enfin, le stress dû à une procédure judiciaire est diminué », ajoute Me Poupart.
Casser le réflexe
Pour que le protocole préjudiciaire soit efficace, il est important que les parties comprennent bien le caractère central de l’échange d’informations. « Il arrive que les avocats soient réticents à tout mettre sur la table de façon précoce par crainte de perdre des munitions, mais si on veut que les informations permettent de catégoriser le dossier efficacement, il faut un échange transparent, il faut casser le réflexe de réserver des cartes dans son jeu », conclut Me Emmanuelle Poupart.