Articles mercredi 15 septembre 2021
Les enjeux de la justice
Par Marie-Hélène Paradis
Le lundi 13 septembre dernier, le Barreau du Québec, en collaboration avec le Jeune Barreau de Montréal, le Jeune Barreau de Québec et l’Association des Jeunes Barreaux de régions, a donné la parole à quatre représentants des partis politiques en campagne électorale fédérale. Les questions posées aux candidats par Stéphanie Grammond, éditorialiste en chef et responsable de la section Débat à La Presse, visaient à connaître la vision des différents partis sur des sujets liés à la justice.
Les candidats étaient pour le Bloc québécois (BQ), Me Rhéal Éloi Fortin, candidat dans Rivière-du-Nord, Me Ève Péclet, candidate du Nouveau Parti Démocratique (NPD) dans Outremont, M. Louis Ialenti, du Parti Conservateur du Canada (PCC), candidat dans Saint-Léonard-St-Michel et pour le Parti Libéral du Canada (PLC), Me Anthony Housefather, candidat dans Mont-Royal.
La première question a été posée par le Jeune Barreau et touchait l’élimination de la peine minimale obligatoire relative aux crimes commis avec des armes à feu.
Après avoir mis la table pour expliquer que différentes communautés sont surreprésentées dans le système judiciaire Me Housefather affirme que la meilleure manière d’avoir une justice mieux équilibrée est d’éliminer la peine minimale obligatoire. Le Bloc et le NPD sont aussi d’accord pour éliminer les peines minimales obligatoires. Me Fortin spécifie que même si l’élimination de la peine minimale est un facteur important, il est encore plus essentiel de mettre l’accent sur la lutte aux armes à feu. La candidate du NPD dit qu’il est primordial que les juges retrouvent un pouvoir discrétionnaire pour mieux lutter contre le trafic des armes. Selon elle, la criminalité reflète le fait que l’approche de la justice devrait se faire avec des solutions sociales. Le Parti Conservateur, quant à lui, affirme que l’abolition des peines minimales pour les crimes commis avec des armes à feu contribue à encourager l’achat d’armes illégales et devrait donc être maintenu.
L’accès à la justice pour les peuples autochtones : Devrait-on mettre sur pied une commission indépendante et nommer un procureur indépendant pour faire la lumière sur les crimes commis dans les pensionnats autochtones?
D’emblée, les quatre candidats ont manifesté leur soutien aux communautés autochtones touchées par ces crimes. Le Parti Conservateur a souligné le fait que la justice commence avec la confiance. Selon Louis Ialenti, les différentes communautés autochtones n’ont jamais eu confiance envers les gouvernements précédents. Il dit aussi que c’est par là que l’on devrait commencer à bâtir un nouveau chemin vers la collaboration et la confiance. Un gouvernement conservateur financera une enquête sur les pensionnats autochtones au Canada. Il s’assurera que les ressources appropriées soient attribuées aux communautés pour commémorer et honorer les victimes. Informer les Canadiens de l’histoire des pensionnats, bâtir des liens entre nos cultures et favoriser l’égalité des chances sont aussi des éléments essentiels à la réussite de l’établissement d’une nouvelle confiance.
Me Fortin a aussi réitéré l’importance d’établir la confiance, mais aussi de se poser des questions sur les causes de ce manque de confiance. L’acquisition du respect devra être suivie de changements importants comme la loi sur les Indiens, la disponibilité de l’eau potable, entre autres choses. Pour que la confiance soit possible, il faut veiller à ce que les gens aient une vie respectable. D’après lui, une consultation avec les premières nations est essentielle pour rétablir la confiance et régler les vrais problèmes, telle l’autonomie, pour établir des relations de nation à nation et pour que les nations autochtones puissent s’épanouir.
Le PLC propose de nommer un interlocuteur entièrement dévoué à travailler en collaboration avec les peuples autochtones afin de formuler des recommandations pour renforcer les lois et les pratiques fédérales pouvant protéger les lieux de sépulture anonymes et discuter de l’approche du gouvernement sur la façon d’aborder les changements nécessaires. Il faut trouver des solutions en collaboration avec les communautés autochtones. La proposition du PLC comprend aussi la mise sur pied d’une commission indépendante sur les crimes commis.
Me Péclet dit qu’il ne faut pas mâcher nos mots et affirme que si cela s’était passé dans un autre pays, on appellerait ces crimes, un génocide. Selon elle, l’idée de ses collègues du NPD de nommer un procureur spécial pour mener une enquête nationale et poursuivre ceux et celles qui ont infligé les sévices graves aux enfants autochtones est importante. Il faut aussi mettre en action la directive sur les litiges civils pour exiger que les églises et les écoles remettent les dossiers pour permettre de savoir la vérité sur ce qui s’est passé et s’assurer de donner juste réparation lorsque l’enquête sera terminée. En conclusion, elle affirme que les personnes autochtones devraient être au centre de toutes les décisions.
Votre parti appuie-t-il la décriminalisation de la possession et de l’utilisation de toutes les drogues, notamment pour combattre la crise des opioïdes, comme mesure de santé publique?
Le Bloc croit fermement qu’un individu qui a un problème de consommation de drogues a un problème de santé et non un problème criminel. Cela a été abordé historiquement de cette façon et la preuve est faite que la prison n’est pas la solution. Me Fortin croit à la nécessité de la révision du processus et certainement pas à la peine minimale obligatoire. Il dit aussi qu’il faut régler le manque de ressources pour un accompagnement mieux organisé et augmenter massivement l’argent retourné aux provinces en santé.
Le NPD, quant à lui est partie prenante de l’élaboration d’une politique de santé publique. Les pays qui l’ont fait (Portugal) ont réussi à diminuer de 50 % le nombre de consommateurs de drogues dures parce que l’argent a été réinvesti dans une politique de santé publique. Le NPD veut mettre sur pied une stratégie nationale pour rendre accessibles les soins en santé mentale. Selon eux, la crise des opioïdes est une urgence de santé publique au même titre que la COVID. De plus, il faut travailler avec les provinces et les municipalités pour leur donner les moyens de faire face au problème. La mise en place des politiques générales de lutte à la pauvreté et à la marginalisation est essentielle. La justice se doit d’être vue comme une façon générale pour lutter contre inégalités.
Pour le Parti Conservateur, la santé publique ne devrait pas criminaliser la possession de drogues dures. Selon M. Ialenti, les crimes associés à la possession de drogues dures ont détruit des vies, mais il faut cependant augmenter les condamnations pour ceux qui vendent. Pour les personnes qui sont prises avec de la drogue sur eux, il faut augmenter la quantité de drogue pour une condamnation, ça peut vraiment changer des vies. Notre frontière avec les États-Unis ne nous permet pas d’envisager une solution comme celle mise sur pied par le Portugal.
L’approche du PLC, s’est reflétée dans le projet de loi C22, pour modifier la déjudiarisation pour possession simple et éliminer les peines minimales obligatoires pour certaines substances. Le PLC a aussi fait des investissements importants en santé mentale. D’après Me Housefather, il faut trouver des solutions à l’extérieur des cours pour aider gens, avec des solutions axées sur santé et non sur le Code criminel.
Violence sexuelle et conjugale : Dans le débat des chefs à TVA, il y a eu consensus quant à l’existence de lacunes dans les outils offerts aux victimes. Quel appui votre gouvernement fournirait-il au tribunal mis sur pied par le Québec et quels autres moyens mettrait-il en place pour pallier les lacunes actuelles en matière de droit criminel?
Me Housefather répond que déjà la loi C75 a fait beaucoup. Elle a élargi la définition des partenaires intimes, créé un renversement du fardeau de la preuve pour la mise en liberté provisoire de personne reconnue coupable de violence, elle exige que les tribunaux tiennent compte de condamnations préalables pour violence en vue d’une remise en liberté. Maintenant, tous les juges au Canada doivent suivre une formation sur les questions de crimes sexuels et écrire noir sur blanc toutes les raisons invoquées lors de ces causes. Le gouvernement doit financer les tribunaux spécialisés et aussi continuer à investir pour que les groupes qui aident les victimes puissent encore mieux faire leur travail.
Monsieur Ialenti et le PCC veulent imposer des peines plus sévères pour les conjoints violents. Pour protéger les victimes ils désirent ajouter une disposition au Code criminel en précisant ce qu’est une circonstance aggravante lorsque agression est commise par le conjoint. Il ne s’agit pas seulement de protéger les victimes, mais aussi de les aider à se reconstruire une vie après. Et pour soutenir les victimes après les faits, le PCC augmentera l’allocation aux enfants (500 $ par enfant la première année et 250 $ la deuxième année) pour les femmes vivant dans un refuge, et ce, pour les aider à faire une transition à long terme. Il faudra aussi créer un fond pour encourager les maisons d’enseignement et les organisations du secteur privé à fournir une formation professionnelle aux travailleuses dans les refuges.
Me Péclet commence son intervention en saluant l’initiative du Québec de mettre sur pied un tribunal spécialisé. Le dépôt du projet de loi C247 par le NPD, vise à criminaliser les comportements moins connus de la violence conjugale. Ce ne sont pas seulement les voies de fait, mais aussi le contrôle coercitif qui font des dommages sur la santé psychologie et physique. Ce projet de loi viendrait élargir la définition de la violence conjugale. Le NPD travaillerait de concert avec les partenaires pour financer des initiatives afin de sensibiliser les citoyens à ces crimes et il modifierait le Code criminel pour que les victimes puissent bénéficier de 10 jours de congé payé.
Me Fortin a, quant à lui, reconnu son appui au projet de loi C75 et au projet de loi C247. Celui-ci vient sanctionner ce qui ne l’était pas et qui se révèle être souvent des comportements menant à une escalade de violence. Il faut toutefois aller plus loin et augmenter les sanctions, on doit aussi considérer cela comme facteur aggravant lorsqu’un acte criminel est posé dans le cadre de relations conjugales. Il termine son intervention en saluant l’initiative du Québec et réitère le la nécessité de financement pour les tribunaux spécialisés.
Les agressions sexuelles dans l’armée, que feriez-vous pour contrer ce fléau?
Me Péclet affirme que la réalité est que ça existe dans tous les milieux de travail, que ce genre de comportement affecte toutes les femmes. Il faut, selon elle, une stratégie nationale pour lutter et sensibiliser les gens, pour leur donner la possibilité de reconnaître ces enjeux et pour créer des initiatives afin d’avoir des endroits sécuritaires pour dénoncer. Le problème est particulièrement important dans les Forces armées, il faut reconnaître les problèmes, mais surtout aller au fond des choses. Il s’agit de travailler avec les organismes, les provinces et les municipalités pour financer des initiatives pancanadiennes.
Me Housefather confirme qu’il faut un changement de culture dans l’armée comme celui qui a été fait dans la fonction publique en général. Le PLC a fait adopter le projet de loi C85 pour que la fonction publique et tous les employeurs fédéraux prennent acte du problème de culture, il faut que ceux-ci fassent une étude de la situation, qu’ils mettent sur pied un processus de plaintes indépendant. Ils devront aussi, s’il y a des recommandations à la suite de plaintes, les mettre en vigueur.
C’est maintenant au tour de l’armée de faire des changements et pour ce faire le PLC a nommé la juge Arbour afin de faire une étude et des recommandations, avec la garantie de mettre en vigueur toutes les recommandations. Le PLC a aussi demandé au juge Fish de revoir le système judiciaire dans l’armée. Il faut que les personnes dans l’armée canadienne aient le même accès à une enquête indépendante que les autres citoyens. Il y a aussi une garantie de mise en vigueur.
Me Fortin considère l’armée comme étant un « boys club » avec une omerta.
Tout en voulant bien croire ses collègues parlementaires quand ils disent qu’il faut changer ça, le candidat du BQ constate que toutes les études et recommandations à ce jour n’ont servi à rien. Me Fortin réclame que l’on passe à l’action et qu’on arrête les enquêtes.
Monsieur Ialenti est d’accord avec Me Fortin en ce qui concerne les enquêtes. Elles ne changent rien. Les services militaires du Canada ne peuvent se gérer eux-mêmes, on devrait avoir une agence, une communauté indépendante pour regarder spécifiquement les cas de harcèlement. Nous devrions être fiers de notre armée ici comme à l’international.
Enjeux constitutionnels qui entourent la COVID 19 : Vaccination obligatoire, est-ce que votre parti donnerait suite à cette mesure? Et que diriez-vous aux personnes qui disent que c’est une violation à leur droit constitutionnel?
Monsieur Ialenti nous dit que personnellement il a pris la décision de protéger ses proches et qu’il a reçu le vaccin. Cependant, quand on parle d’obligation il observe qu’il ne serait pas surpris qu’on se retrouve en Cour suprême. La liberté individuelle va toujours être le point de référence pour répondre à ce genre de questions.
Pour Me Fortin, le sujet est des plus délicat et pertinent, mais nous n’avons pas le choix d’en parler. Oui pour l’obligation, mais il faut respecter les syndicats, les travailleurs et commencer par une discussion avec l’interlocuteur principal, le syndicat. Il faut aussi voir comment tout ça va se faire, quelles seront les sanctions.
Me Housefather, souligne que la vaccination protège nos familles et communautés. Selon lui, personne ne va dire que c’est une obligation, mais si vous n’êtes pas vacciné, vous pourriez perdre certains privilèges. C’est la réalité d’une pandémie. Il est tout à fait en faveur pour que les gens qui travaillent au gouvernement fédéral soient vaccinés obligatoirement et pour qu’une discussion ait lieu afin d’avoir une entente entre les partis politiques, il faut aussi, selon lui, prévoir des exceptions médicales. Notre Charte des droits permet certainement des limites raisonnables pour une exception comme une pandémie.
Me Péclet parle de la proportionnalité qui va varier en fonction des préoccupations urgentes ou réelles. Est-ce qu’en temps de pandémie, c’est une préoccupation réelle que de sauver des vies. Oui, et en tant que société, on doit se donner les moyens pour atteindre nos objectifs d’arrêter la pandémie. La vaccination pour les employés est fondamentale.
Comment votre parti se positionne-t-il face au débat sur le partage des compétences en santé?
La pandémie nous a démontré qu’il y a des lacunes dans le financement des services de santé. Le NPD propose d’augmenter les transferts en santé au Québec. Partout au Canada, il y a eu des lacunes, des gens qui ont perdu la vie, il faut travailler ensemble pour la santé des ainés. Le vieillissement de la population va continuer, c’est une réalité. Il faut se poser les questions à savoir comment éviter que la situation se répète et établir des normes canadiennes ensemble pour protéger la dignité des ainés. Le gouvernement du Canada doit avoir le leadership à ce sujet.
Me Housefather dit qu’il y a une obligation de la part du gouvernement fédéral d’assurer la sécurité de tout le monde au pays. Il n’y a aucune raison pour laquelle le gouvernement ne devrait pas donner d’argent. Le PLC veut aider les gouvernements provinciaux, mais aussi fixer des objectifs communs à travers le pays. Il veut inspirer de meilleures pratiques, pour trouver de nouveaux médecins, pour baisser les listes d’attente en coopération avec les provinces.
Monsieur Ialenti souligne que le gouvernement a déjà essayé de faire des normes pancanadiennes, ça fonctionne au début, mais après non. Il faut faire des partenariats avec les provinces, il affirme aussi que ce sont elles qui sont les mieux placées pour répondre aux exigences. Le Québec a eu des difficultés non pas parce qu’il n’y avait pas de règles d’Ottawa, mais parce qu’il n’est pas assez soutenu par Ottawa.
Le BQ confirme que selon eux le respect de la Constitution et la séparation des pouvoirs sont loin d’être banal, la société complète est assise sur ce principe. La santé est de compétence provinciale et il faut respecter cela. Me Fortin précise que selon lui le travail du fédéral est de retourner l’argent qu’il a perçu en trop pour que les provinces puissent satisfaire à leurs obligations. En 1958, lors de l’adoption de la loi sur la santé fédérale, 50 % du budget santé venait du fédéral, en 2021, c’est 22 %, même si les besoins ont augmenté. La demande des provinces est de 35 %.
En conclusion
Pour le PLC, les enjeux de justice devraient être non partisans. Beaucoup de choses ont changé depuis quelques années, mais il reste encore à faire. Le système de justice fonctionne beaucoup mieux si les choses sont faites dans un système non partisan.
Monsieur Ialenti affirme que le Canada en tant que modèle mondialement reconnu se doit de démontrer que nous sommes un pays où nos droits ne seront jamais compromis.
Me Péclet nous pose la question : qu’est-ce que la justice?
Est-ce un sujet strictement légal ou est-ce qu’on peut voir ça à plus grande échelle?
Elle voit la justice comme étant le socle qui devrait orienter toutes nos prises de position et nos politiques avec une analyse d’impact sur les populations plus vulnérables.
Comment faire en sorte que notre société soit plus juste. Le NPD propose que la justice ne soit pas seulement une question légale, mais bien sociétale.
Pour Me Fortin, la justice est le ciment de la société, elle permet que l’on ne régresse pas, elle permet d’avoir des rapports civilisés entre individus. Le gouvernement fédéral devrait s’engager à être transparent et à retourner aux provinces les sommes qui leur sont dues. La démocratie est notre bien le plus précieux.